L’espérance est en nous, faisons notre propre bonheur.
Le Génie du Christianisme,
de François René de Chateaubriand,
extrait :
« … Jésus Christ, vous seul pouviez enseigner au monde que la foi, l’espérance et la charité sont les vertus qui conviennent à l’ignorance, comme la misère à l’homme !
C’est une prodigieuse raison, sans doute, que celle qui nous a montré dans la foi la source des vertus. Il n’y a de puissance que dans la conviction. Un poème n’est divin, une peinture
n’est belle que parce que l’esprit ou l’oeil qui en juge, est convaincu d’une certaine vérité cachée dans ce raisonnement, ce poème, ce tableau. Quels miracles un petit nombre de soldats
persuadés de l’habileté de leur général, ne peuvent-ils pas enfanter ! (…) Colomb, seul de tout un monde, s’obstine à croire à un nouvel univers, et un nouvel univers sort des flots.
L’amitié, le patriotisme, l’amour, sont aussi une espèce de foi. C’est parce qu’ils ont cru, que les Codrus, les Pylade, les Regulus, les Arie, ont fait des prodiges. Et voilà pourquoi
ces cœurs qui ne croient en rien, qui traitent d’illusions tous les attachements de l’âme, et de folie toutes les belles actions, qui regardent en pitié l’imagination et la tendresse du
génie ; voilà pourquoi ces cœurs n’achèveront jamais rien de grand, de généreux ; ils n’ont foi que dans la matière et dans la mort, et ils dont déjà sensibles comme l’une, et glacés
comme l’autre.
(…)
Si vous employez la foi à son véritable usage, si vous la tournez entièrement vers le Créateur, si vous en faites l’œil intellectuel par qui vous découvrez les merveilles de la cité
sainte, et l’empire des existences réelles, si elle sert d’ailes à votre âme, pour vous élever au-dessus des peines de la vie ; vous reconnaîtrez que l’Ecriture n’a pas trop exalté cette
vertu, lorsqu’elle a parlé des prodiges qu’on peut faire avec elle. Foi céleste, foi consolatrice, tu fais plus que de transporter les montagnes, tu soulèves les poids accablants qui
pèsent sur le cœur de l’homme !
(…)
L’espérance, seconde vertu théologale, a presque la même force que la foi ; le Désir est le père de la puissance ; quiconque désire fortement, obtient. Cherchez, a dit Jésus Christ, et
vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. Pythagore disait dans le même sens : La puissance habite auprès de la nécessité ; car nécessité implique privation, et privation marche
avec désir. Le désir ou l’espérance, est le génie. Il a cette virilité qui enfante, et cette soif qui ne s’éteint jamais. Un homme se voit-il trompé dans ses projets ? C’est qu’il n’a pas
désiré avec ardeur ; c’est qu’il a manqué de cet amour qui saisit tôt ou tard l’objet auquel il aspire, de cet amour qui dans la Divinité, embrasse tout et jouit de tous les mondes, par
une immense espérance toujours satisfaite, et sui renaît toujours.
Il y a cependant une différence entre la foi, et l’espérance considérée comme force. La foi a son foyer hors de nous, pour se porter au dehors. On nous impose la première, notre propre
désir fait naître la seconde ; celle-là est une obéissance ; celle-ci un amour. Mais comme la foi engendre plus facilement les autres vertus, comme elle découle directement de Dieu, et
que par conséquent étant une émanation du grand être, elle est plus belle que l’espérance qui n’est qu’une partie de l’homme, l’église a dû placer la foi au premier rang.
Mais l’espérance offre en elle-même un caractère particulier : c’est celui qui la met en rapport avec nos misères. Sans doute elle fut révélée par le ciel, cette religion qui fit une
vertu de l’espérance ! Cette nourrice des infortunés, placée auprès de l’homme, comme une mère auprès de son enfant malade, le berce dans ses bras, le suspend à sa mamelle intarissable,
et l’abreuve d’un lait qui calme toutes ses douleurs. Elle veille à son chevet solitaire, elle l’endort par des chants magiques. N’est-il pas surprenant de voir l’espérance, qu’il est si
doux de garder et qui semble un mouvement naturel de l’âme, se transformer pour le chrétien en une vertu rigoureusement exigée ? en sorte que, quoi qu’il fasse, on l’oblige à boire à
grands traits à cette coupe enchantée, où tant de misérables s’estimeraient heureux de mouiller un instant leurs lèvres. Il y a plus (et c’est ici la merveille), il sera récompensé
d’avoir espéré, autrement dit, d’avoir fait son propre bonheur. Le fidèle toujours militant dans la vie, toujours aux prises avec l’Ennemi, est traité par la religion dans sa défaite,
comme ces généraux vaincus, que le Sénat Romain recevait en triomphe, par la seule raison qu’ils n’avaient pas désespéré du salut final. Mais si les anciens attribuaient quelque chose de
merveilleux à l’homme que l’espoir n’abandonne jamais, qu’auraient-ils pensé d chrétien qui, dans son étonnant langage, ne plus entretenir, mais pratiquer l’espérance ?... »