Littérature contemporaine et bonne conscience
C’est un tort de s’imaginer qu’une certaine littérature contemporaine se complaisant dans le misérabilisme soit un bienfait, soit ce que le lecteur attend. Le lecteur est prisonnier de l’offre
qui lui est proposée.
La misère existe, c’est un fait ; il faudrait que cela change, ce devrait un but. Mais en quoi écrire romans sur romans à ce sujet améliore-t-il ce fait Un lycéen contraint de lire sept
romans contemporains sur la misère humaine va-t-il se précipiter pour servir la soupe populaire le samedi soir L’auteur du roman, l’éditeur de ce roman, les décideurs de l’Education
Nationale, le professeur de français, qui se sont tous donnés une facile bonne conscience en lisant ce roman, le font-ils eux-mêmes Quelle est la part de voyeurisme et de complaisance, la
part de prise de conscience, la part de réelle compassion Quel est cet air du temps qui susurre il te suffira de lire ce roman dont le sujet est un sans-abri pour avoir bonne
conscience ; si tu ne le lis pas, c’est que tu es une personne qui n’aime pas son prochain. En quoi de tels romans améliorent-ils la vie des personnes qui en sont les sujets Ou bien
peut-être est-ce que je me trompe Peut-être chaque lecteur de ce roman invite-t-il un sans-abri à sa table chaque soir Après tout, la charité doit être un acte noble et discret…
Maintenant, on peut se poser la question quel est le but du cours de français S’il propose essentiellement une littérature contemporaine décrivant pauvrement la misère de notre
société, alors il s’apparente plus à un cours de sociologie, et son but est de toute façon nul car les élèves seront passés à côté de la littérature et aussi à côté de la sociologie, puisque
traitée de façon littéraire.
Baisser les yeux pour lire un livre nous fait relever la tête
Il n’est pas dans la nature humaine d’aimer la misère. Chacun la fuit à sa façon, selon ses moyens. Chacun tend naturellement à être plus aimé, plus beau ou plus riche. Pourquoi en serait-il
autrement pour un lycéen
J’ai entendu l’autre jour à la radio, deux collégiennes d’un quartier défavorisé qui avaient eu la chance de faire leur stage de troisième dans une entreprise de designers de beaux bureaux,
des gens heureux de travailler. Elles en étaient revenues éblouies, prêtes à se donner tous les moyens pour se dépasser, pour surmonter les obstacles et s’élever. Qu’est-ce qui leur avait ouvert
les yeux, qu’est-ce qui leur avait donné un élan, un espoir Était-ce de constater qu’il y avait de la misère De regarder vers le bas Non. C’était d’avoir levé les yeux vers un
monde étranger à leur univers, pas facile à comprendre quand on n’en a pas les clés certes, mais un monde plus beau, plus riche intellectuellement et esthétiquement, ceci dit sans jugement de
valeur.