LIBERTÉ, ÉGALITÉ, ÉTAT, SELON LAMENNAIS
par Gabrielle Dubois
Dans cette nouvelle série Liberté et auteurs du 19ème siècle, je vous propose de lire quelques textes évoquant différents aspects de la liberté, glanés au cours de mes lectures.
Les extraits que vous lirez, j’espère pour vous ! ne sont pas forcément représentatifs de toute la pensée de l’auteur, mais ils vous parleront, sans doute, pour leur résonnance avec notre 21ème
siècle. Les siècles passent, mais le caractère des hommes ne change pas. Ils cherchent la liberté à cheval, en voiture, en avion, en fusée. Mais la liberté existe-t-elle ?
Biographie plus que sommaire de Lamennais
Félicité de Lamennais (1782-1854), auteur, journaliste, député, est élevé par son frère, prêtre. Autodidacte, Félicité enseigne une année les mathématiques au collège de Saint-Malo en 1804, puis,
sans fréquenter de séminaire, il se livre à la théologie et, presque contraint par son directeur de conscience, reçoit la tonsure et les ordres mineurs en 1809, puis devient prêtre. Mais il
recherche la voie d'un christianisme proche de l'Évangile et non de mèche avec l’État. Certaines de ses publications sont interdites, d’autres l’obligent à se réfugier à Guernesey ou à
Londres.
Pour Lamennais, le Saint-Siège, en s’alliant avec les pouvoirs absolus, a abandonné la route montré par le fils de Dieu né et mort pauvre. Lamennais veut une Église libre dans un État libre. À
Rome, son engagement politique est mal vu. En France, il fait de la prison.
Lamennais milite pour retrouver la loi d'amour de l'Évangile, en dehors de l’Église, pour les libertés politiques, de la presse, de l’enseignement.
Les dernières années de sa vie, Lamennais est surveillé par la police impériale. Il est inhumé dans la fosse commune du Père-Lachaise.
Pour son texte Le Pays et le Gouvernement, Lamennais, a été poursuivi en 1840 devant la Cour d'assises de la Seine et condamné à un an de prison et à 2 000 francs d'amende.
Extraits :
L’État veut manipuler les enfants de l’homme
« Pour ceux qui se proposent ce but d'égalité rigoureuse, absolue, les plus conséquents concluent, pour l'établir et pour le maintenir, à l'emploi de la force, au despotisme, à la dictature, sous
une forme ou sous une autre.
Les partisans de l'égalité absolue sont d'abord contraints d'attaquer les inégalités naturelles, afin de les atténuer, de les détruire s'il est possible. Ne pouvant rien sur les conditions
premières d'organisation et de développement (de la personne-même), leur œuvre commence à l'instant où l'homme naît, où l'enfant sort du sein de sa mère. L'État alors s'en empare : le voilà
maître absolu de l'être spirituel comme de l'être organique. L'intelligence et la conscience, tout dépend de lui, tout lui est soumis. Plus de famille, plus de paternité, plus de mariage dès lors
; un mâle, une femelle, des petits que l'Etat manipule, dont il fait ce qu'il veut, moralement, physiquement, une servitude universelle et si profonde que rien n'y échappe, qu'elle pénètre
jusqu'à l'âme même. »
Le partage des richesses
« En ce qui touche les choses matérielles, l'égalité ne saurait s'établir d'une manière tant soit peu durable par le simple partage. S'il s'agit de la terre seule, on conçoit qu'elle puisse être
divisée en autant de portions qu'il y a d'individus ; mais le nombre des individus variant perpétuellement, il faudrait aussi perpétuellement changer cette division primitive. Toute propriété
individuelle étant abolie, il n'y a de possesseur de droit que l'Etat. Ce mode de possession, s'il est volontaire, est celui du moine astreint par ses vœux à la pauvreté comme à l'obéissance ;
s'il n'est pas volontaire, c'est celui de l'esclave, là où rien ne modifie la rigueur de sa condition. Tous les liens de l'humanité, les relations sympathiques, le dévouement mutuel, l'échange
des services, le libre don de soi, tout ce qui fait le charme de la vie et sa grandeur, tout, tout a disparu, disparu sans retour. »
Négation de la liberté de l’homme
« Les moyens proposés jusqu'ici pour résoudre le problème de l'avenir du peuple aboutissent à la négation de toutes les conditions indispensables de l'existence, détruisent, soit directement,
soit implicitement, le devoir, le droit, la famille et ne produiraient, s'ils pouvaient être appliqués à la société, au lieu de la liberté dans laquelle se résume tout progrès réel, qu'une
servitude à laquelle l'histoire, si haut qu'on remonte dans le passé, n'offre rien de comparable. »
Le texte de Lamennais ébranle le système
Le Pays et le Gouvernement a vu son premier tirage épuisé dès sa sortie. Ce petit texte a été attaqué de plusieurs côtés avec beaucoup de violence, et cela n'a point surpris l'auteur, il s'y
attendait.
Lamennais, dont « les efforts ont pour but sa réalisation sincère et complète dans les institutions du pays, ne pouvait pas espérer l’approbation d’hommes de tous passés qui, de quelque manière
que ce soit, repoussent le principe de la souveraineté du peuple. »
Lamennais ajoute avec un humour grinçant, mais bonhomme :
« Mes accusateurs disent que je renverse les bases de la société ; que j’ai présenté le tableau fidèle des désordres, des vices, des corruptions et des maux sans nombre de la société actuelle ;
que j’en demande la réforme. Si c'est là ce qu'on appelle renverser les bases de la société, oui, de toute mon âme, je voudrais renverser les bases de la société. Mais alors, il faut soutenir que
ces corruptions, ces vices et ces désordres, sont les bases de la société. Est-ce là ce qu'entendent les accusateurs ? C'est au moins très-directement la conséquence de leurs paroles.
Mes accusateurs disent que, vu la dissolution générale des principes et des immuables lois sur lesquelles la société repose, on doit se hâter de la reconstituer, de la rasseoir sur les bases
éternelles de la justice, du devoir et du droit. Rasseoir la société sur le droit, le devoir, la justice, c'est donc, selon mes accusateurs, renverser les bases véritables de la société. Ils
peuvent le penser, mais le dire ! Je n’espérais pas d'eux une si naïve apologie de ce qui, dans mon écrit, a le plus excité leur courroux. »
La liberté de penser muselée
« J’exhorte, écrit encore Lamennais, au respect des propriétés, parce que ce n'est pas en les attaquant qu'on arrivera à une plus juste distribution de la richesse. On ne réussirait par cette
voie qu'à créer une misère commune, en détruisant les capitaux qu'il s'agit de rendre accessibles à tous. »
Le 20 octobre 1840, huit jours après la publication, un commissaire de police, suivi de nombreux agents, perquisitionnait, dès six heures du matin, au domicile de M. Lamennais, fouillait tous ses
meubles, lisait tous ses papiers et jusqu'à ses correspondances privées, et saisissait, avec la préface, le manuscrit original de la brochure. De même, dans toutes les librairies des grandes
villes de France, le texte déjà publié était confisqué. D’autres tirages seront interdits.
Le passé est le présent
Ces petits extraits de textes de Lamennais sur la Liberté et l’Égalité que je vous ai donnés à lire, sont les premiers d’une petite série sur la Liberté et auteurs du 19ème siècle.
Que l’on soit d’accord, ou pas, ou en partie, avec certains des auteurs du 19ème que je vais vous proposer, on ne peut nier qu’il y a là matière à réflexion : comment instaurer un meilleur régime
étatique alors que l’homme n’a pas évolué ? Pourquoi attendre d’un politicien qu’il soit sage, s’il n’étudie pas l’histoire, ne s’imprègne pas des réflexions des penseurs du passé ô combien
valables au présent ?
L’état est un magicien. Il ne donne pas la liberté, il n’en donne que l’illusion. Nous, depuis deux cents ans, nous payons pour le spectacle, nous nous laissons illusionner et nous applaudissons,
avant de courir, dans cinq ans, au spectacle suivant.
Nous n’attendrons pas cinq mais seulement une semaine pour lire ce qu’un immense écrivain du début 19ème a écrit sur la Liberté, lui qui était allé la chercher jusqu’aux Amériques… !
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