Quoi qu’on puisse en dire, j’aime Louise Saint-Quentin, l’histoire qui m’a libérée de moi-même.
J’ai un travail qui me nourrit, donc aucun but de survie ne me forçait à écrire cette histoire. Si ce roman historique est précieux à mes yeux, c’est qu’à aucun moment je n’ai pensé qu’il pût y
avoir de conséquences à ce travail, que ce soient la publication ou le rejet des éditeurs, le succès ou l’échec, puisque jamais lors de l’écriture, des recherches historiques ou des lectures
bibliographiques, je n’ai pensé que je montrerai ce qui est depuis devenu un roman.
Ma liberté d’esprit était donc entière ; mon écriture aussi spontanée, fraîche et vive qu’un cours d’eau de montagne ; mon travail et ses fruits, le plus doux des plaisirs puisqu’ils n’étaient
que pour moi.
Mais… j’ai fini par faire lire Louise Saint-Quentin.
Ceux qui se disent gens d’esprit l’ont jugé trop facile ; les lecteurs pressés l’ont trouvé trop long, les insouciants trop difficile ; les prudes trop licencieux ; les ignorants des mœurs de la
fin du 19ème siècle, choquant ; les classificateurs, eux, ont carrément rejeté ce roman inclassable !
Tout cela… me flatte ! Je n’ai pas écrit dans le genre de tel ou tel auteur, je n’ai pas suivi les cours de tel ou tel universitaire, et je n’appartiens à aucune école ; mon imagination fait des
jaloux, ma force de travail des envieux. Qu’à cela ne tienne, j’ai du bonheur à raconter des histoires sur un solide fond historique et les esprits ouverts qui ont suivi Louise Saint-Quentin dans
ses aventures, ont reçu ce bonheur à pleines pages.
J’ai tracé et suivi mon propre chemin d’écrivain sans me demander si j’étais autorisée à le faire ou s’il me mènerait quelque part, sans imaginer un instant prendre un des nombreux chemins déjà
tracés. Et comme un chemin qu’on trace est comme un cœur qu’on ouvre, des lecteurs m’ont rejoint pour cheminer de concert, et ce voyage est merveilleux !
Pour Louise Saint-Quentin, le chemin, c’est la fin du 19ème siècle. Bien évidemment, je n’y suis allée qu’en lisant des auteurs connus et inconnus de ce temps-là : écrivains célèbres,
représentants de commerce anonymes, rapporteurs pour le Gouvernement, tout est bon à lire pour s’imprégner de l’esprit et des mœurs du temps où l’on ne peut voyager que par la pensée,
confortablement installé devant son bureau.
Alors certains pensent qu’ils sont en droit de juger, d’après leurs critères du 21ème siècle, les pensées et les actions des hommes et des femmes de ce temps-là comme d’un autre. Je ne le pense
pas.
Certains pensent que le 19ème siècle c’était du romantisme, des écrivains à cheveux blancs, des chefs politiques pleins de sagesse et de belles phrases, des jeunes filles innocentes et naïves,
des femmes mariées et sages. Oui, il y en avait… comme il y en a de nos jours, ni plus ni moins ! Mais comme de nos jours, il y avait des hommes et des femmes libres de penser et d’agir selon
leurs convictions, selon leurs désirs, selon leur cœur. Je ne cacherai jamais la réalité de mes personnages pour épargner des délicatesses mal-placées ou des ignorances. Pourquoi donc imaginer
que nos arrières-arrières-arrières grands-mères étaient forcément des saintes ou des statues ? Nos grands-mères ont été jeunes, nos grands-mères étaient aussi des êtres de chair et de sang.
Louise Saint-Quentin n’est pas l’histoire des femmes et des hommes des années 1880-1900, c’est une histoire de quelques femmes et de quelques hommes des années 1880-1900, tels que mon
cœur et mon esprit les a créés. Des lecteurs les détestent, d’autres les aiment, d’autres encore les adorent, on s’indigne, on s’enthousiasme, en tout cas, ils ne laissent pas indifférent, et
c’est la preuve qu’ils ont une consistance, et que le travail n’est pas mal fait !
Si Louise Saint-Quentin est une belle histoire, fraîche, jeune, trépidante, spontanée, pleine d’amour et d’aventures qui font faire au lecteur le tour de la terre, je reconnais aussi que
son écriture a quelques défauts, ceux d’un premier roman, ceux de la jeunesse. Avant que ses deux tomes ne soient traduits sous les titres de Mistress Mine et Where are you roaming?, j’aurais pu les
réécrire. Mais j’ai choisi de ne pas le faire, de peur de perdre cette spontanéité qui fait tout le caractère et le charme du personnage-même de Louise. Alors j’ai laissé cette première sage
telle quelle : un peu brut de décoffrage diront certains, mais si pleine de fraîcheur, de bonheur, de fantaisie, et aux personnages si attachants.
Bref, une belle histoire de femme et de liberté !
Gabrielle Dubois©