Toi, ma sœur, que je plains quand tu crois que nous ne te chérissons pas ; surtout toi qui souffres en silence, je te garde pour sœur.
Depuis quand, ma sœur, es-tu enfermée en toi ? C’est la question que je me suis posée le jour où tu m’as dit ta détresse. Ce jour-là, mon doute est devenu certitude : ton âme joyeuse, bonne,
intelligente est prisonnière de ton manque de confiance en toi.
Pourtant, de l’amour, tu en as eu comme nous avons eu. Mais l’amour ne fait pas tout.
Il ne suffit pas au jardinier de chanter des chansons ni même de caresser tendrement sa jeune pousse pour qu’elle croisse et embellisse. Non, si le jardinier veut voir sa pousse devenir un bel
arbre, en plus d’être poète et aimant, il doit travailler : planter un tuteur pour guider la jeune pousse dans les premières années de sa vie, l’arroser tous les jours différemment selon la
saison, être attentif à la moindre feuille froissée, desséchée. Jour après jour prendre soin de sa jeune pousse sans jamais la négliger.
De même l’amour ne fait pas tout pour l’enfant. Comme la jeune pousse, l’enfant a besoin d’un tuteur solide et fiable pour le guider dans ses premiers pas ; d’une écoute de chaque jour, d’une
attention minutieuse pour détecter le moindre signe de blessure du corps comme de flétrissure de l’âme.
Les blessures de l’âme d’un enfant, si elles ne peuvent pas toujours être évitées, peuvent être guéries si on les traite rapidement. Mais si on ne les voit pas ou si on ne veut pas les voir,
elles s’élargissent au fur et à mesure des années jusqu’à qu’il n’y ait plus assez de peau pour pouvoir un jour refermer la blessure.
Les blessures de l’âme d’un enfant, si elles n’ont pas été traitées par ses tuteurs, peuvent l’être par l’enfant devenu adulte. C’est plus long, plus délicat, plus douloureux. Ce sont parfois
beaucoup d’années perdues avant même de se rendre compte qu’on est meurtri, tant on a l’habitude d’aller dans la vie avec sa blessure.
Mais c’est possible, ma sœur. Si seulement tu voulais prendre ma main, si seulement tu voulais voir la lumière, pleurer sur toi-même et puis enfin rire, et puis enfin avancer dans le soleil. Tu
pourrais retrouver la joyeuse personne enfermée en toi. Je sais que c’est possible et c’est ce que je veux pour toi, ma sœur, parce que je t’aime et je te veux heureuse. Beaucoup d’années ont
passé, c’est vrai ma sœur, mais beaucoup d’années sont encore à venir. Vis-les, je t’en prie !
Je sais encore une chose : c’est à toi de me tendre la main si tu veux que je la saisisse, parce que je ne peux pas te la prendre de force.
Et c’est là que je me rends compte de l’impuissance de l’amour : je ne peux pas te sauver malgré toi.
Et ta blessure me met en rage parce que je t’aime, ma sœur, parce que ta blessure devient la mienne.
Gabrielle Dubois©