Un roman intelligent, plein de suspense, de personnages attachants et complexes et de féminisme. Mais comme j'ai beaucoup de travail ce mois-ci, je n'ai pas le temps de faire une critique, alors
j'ai juste choisi quelques passages que j'ai commentés avec le groupe Victorians! sur Goodreads.
Quel plaidoyer en faveur du féminisme dans la discussion des enfants Yorke au chapitre 9 ! Excellent, je voyais Charlotte Bronte s'amuser en l'écrivant !
« - Tous les enfants, surtout nous les filles, doivent se taire en présence de leurs aînés. Pourquoi avons-nous des langues, alors ? demanda Jessy. Et pourquoi surtout les filles, mère
?
- Premièrement, parce que je le dis, et deuxièmement, parce que la discrétion et la réserve sont la meilleure sagesse d'une fille.
- Les gens, poursuivit Jessy, font attention aux garçons. Tous mes oncles et tantes semblent penser que leurs neveux sont meilleurs que leurs nièces, et quand des messieurs viennent ici pour
dîner, ce sont toujours mes frères à qui on parle, et jamais Rose et moi... »
Robert Moore, le personnage principal masculin, tente de se remettre de la faillite de sa famille et de garder son entreprise pour continuer à fournir du travail, source d'argent et de vie pour
les familles des ouvriers.
Robert Moore a été dur quand il a répondu à l’ouvrier Farren. Mais il s’en est expliqué à M. Yorke. Robert sait qu'il a commis une erreur, mais "Que celui qui n’a jamais péché lui jette la
première pierre."
« Oui, c'est vrai, dit Robert Moore à Yorke. Farren n’a exprimé que la vérité et le bon sens. Je lui ai répondu aussi grossièrement qu’aux autres, qui n'ont fait que jacassé. Je ne pouvais
pas faire de distinction. Son apparence racontait ce qu'il avait vécu dernièrement de façon plus claire que ses paroles ; mais à quoi bon expliquer ? Donnons-lui du travail. »
Robert est étranglé. Il se bat pour ne pas perdre son emploi, c'est-à-dire son usine. Il comprend les travailleurs comme Farren, pour qui le travail qu'il leur donne est vital, mais pour
l'instant, il n'y peut rien. C'est sans doute en raison de son impuissance face à la crise mondiale et aux crises familiales de ses ouvriers, que Robert Moore a été dur avec Farren. Moore est un
homme fort qui réagit avec force. Ce n'est pas contre Farren qu'il s'est fâché, mais contre une situation qui échappe à son contrôle en ce moment. Et dans le dialogue avec Yorke, il explique
:
« J'ai reçu ce matin des lettres qui me montrent assez clairement où j'en suis, et ce n'est pas loin de la fin. Mon marché étranger, en tout cas, est englouti. S'il n'y a pas de
changement - s'il n'y a aucune perspective de paix - si les décrets du Conseil ne sont pas, au moins, suspendus, afin d'ouvrir notre chemin en Occident - je ne sais pas vers qui me tourner. Je ne
vois pas plus de lumière que si j'étais enfermée dans une grotte, de sorte que pour moi prétendre offrir un gagne-pain à un homme serait faire une chose malhonnête. »
Robert Moore est un homme honnête :
« Oui, un deuxième échec - que je peux retarder, mais que je ne vois aucun moyen d'éviter pour l'instant - aurait complètement détruit le nom de Moore ; et vous savez que j'avais de bonnes
intentions de rembourser chaque dette et de rétablir l'ancienne société sur ses anciennes bases. »
Je comprends la détresse des travailleurs qui perdent leur emploi à cause des progrès des machines. Mais tel est le progrès. Tôt ou tard, chacun doit s'adapter, et casser des machines qui ne leur
appartiennent pas n'est pas la solution.
Dans mon autre travail, non pas celui d'écrivain, mais celui qui nous fait vivre mes enfants et moi, j'ai été confronté à cette situation. J'ai dû m'adapter, et je n'ai pas détruit de machines ni
d'hommes pour ça. C'est la vie !
La vie de Farren l’ouvrier n'est pas facile. Mais la vie de Robert Moore le manufacturier ne l'est pas plus. S'il fait faillite, il se retrouvera sans ressources, comme Farren, et en plus, non
seulement lui-même, mais aussi ses travailleurs seront au chômage et cela pèsera sur son cœur.
Maintenant, laissons Shirley se décrire :
« Les affaires ! Vraiment, ce mot me fait prendre conscience que je ne suis plus une fille, mais une vraie femme et plus. Je suis un Esquire ! Shirley Keeldar, Esquire, devrait être mon genre
et mon titre. On m’a donné un nom d'homme, j'occupe un poste d'homme, il suffit de m'inspirer d'une touche de virilité, et des gens comme ce Moore me parlent sérieusement des affaires, je me sens
vraiment comme un gentleman. »
Qui est-elle ? Nul doute qu'elle est féministe et certainement la femme que Charlotte Brontë aurait aimé être : indépendante, libre pour deux raisons : premièrement, l'argent rend libre,
deuxièmement, c'est un esprit libre... et ça, ce n'est pas l'argent qui le donne et pas à tous !
Qui est Shirley ?
À la fin du chapitre 15 : L'Exode de M. Donne, les hommes pourraient vous répondre : c'est un homme, plus encore, c’est un gentleman !
Je réponds : Shirley est une femme, plus encore, une femme courageuse et honnête !
Et Donne, cet arrogant qu’elle met à la porte ? Donne était stupéfait. Les aveugles sont forcément surpris devant des femmes lucides !
Quant à Caroline Helstone, il semble qu’elle n'ait été considérée que par une seule personne : Robert. Ou c'est ce qu'elle croyait...
Sa mère est inexistante, on ne sait pas pourquoi, mais elle n'est pas très bien jugée par ceux qui l'ont connue. Son père était un horrible personnage. Son oncle s'occupe bien d'elle, mais par
devoir plutôt que par amour. Hortense, si je me souviens bien, ne lui donne des cours de français que parce que cela la rend personnellement heureuse.
Caroline a donc beaucoup investi dans son amour pour Robert. Plus on croit en une chose, plus on est déçu quand ce n'est pas ce qu'on croyait.
Le féminisme est au chapitre XIV et partout ailleurs dans Shirley !
« Les hommes aiment rarement que leurs semblables lisent leur nature intérieure trop clairement et vraiment. Il est bon pour les femmes, en particulier, d'être dotées d'une cécité douce :
avoir des yeux doux et sombres, qui ne pénètrent jamais sous la surface des choses - qui prennent tout pour argent comptant : des milliers, sachant cela, gardent leurs paupières closes par
habitude ; mais le regard le plus bas a sa brèche, par laquelle il peut, à l'occasion, faire sa propre enquête sur la vie. »
Et féminisme encore, qui me rappelle l’Indiana de George Sand et qu’on retrouve chez Charlotte Brontë dans le chapitre 21 de Shirley dans le dialogue entre Mme Pryor et Caroline.
La différence est que, dans son observation, Charlotte Brontë me semble triste et désespérée alors que George Sand, qui avait lutté pour se faire une vie libre, ne l'était pas. Quoi qu'il en
soit, leur observation est la même. Voici le dialogue de Charlotte Brontë :
« - Dans ce cas, le mariage ne devrait pas exister.
- Il devrait, ma chère, s'il ne s'agissait que de prouver que cette vie n'est qu'une simple mise à l'épreuve, où ni le repos ni la récompense ne doivent être garantis. (...)
Dieu mêle quelque chose du baume de la miséricorde, même dans les fioles des malheurs les plus corrosifs. Il peut ainsi tourner les événements, afin que du même acte aveugle et téméraire
jaillisse la malédiction de la moitié de notre vie, puisse couler la bénédiction du reste de l'humanité. Je n'aurais jamais dû me marier : ma nature n'est pas faite pour cela. J'étais tout à fait
consciente de mon inéligibilité ; et si je n'avais pas été si malheureuse comme gouvernante, je ne me serais jamais mariée… »
Chapitre 22, extrait :
"Les gens détestent qu'on leur rappelle des maux auxquels ils ne peuvent ou ne veulent pas remédier : un tel rappel, en leur imposant le sentiment de leur propre incapacité, ou le sentiment
plus douloureux d'une obligation de faire un effort désagréable, trouble leur aisance et secoue leur complaisance personnelle...".
C'est exactement ce que ma propre expérience m’a fait découvrir il y a quelques années. Quand j'ai finalement dit que j'avais été agressée, les adultes qui auraient dû le voir cela dans mon
enfance n'ont toujours pas été capables de l'entendre à l'âge adulte. Ainsi va la vie ! Nous apprenons que certaines questions resteront sans réponse, mais la guérison vient de la capacité à
poser la question et à supporter la non-réponse.
Chapitre 22, nouvel extrait :
« Les vieilles servantes, comme les sans-logis et les chômeurs pauvres, ne devraient pas demander une place et une occupation dans le monde : la demande dérange les heureux et les riches...
»
Encore une fois, cela m'a rappelé ce que George Sand dans Indiana :
« … la société, organisée comme elle l’était alors, lui était favorable et avantageuse ; elle ne pouvait pas être dérangée sans que la somme de son bien-être fût diminuée, et c’est un
merveilleux enseignement à la modération que cette parfaite quiétude de situation qui se communique à la pensée. Quel homme est assez ingrat envers la Providence pour lui reprocher le malheur des
autres, si pour lui elle n’a eu que des sourires et des bienfaits ? Comment eût-on pu persuader à ces jeunes appuis de la monarchie constitutionnelle que la constitution était déjà vieille,
qu’elle pesait sur le corps social et le fatiguait, lorsqu’ils la trouvaient légère pour eux-mêmes et n’en recueillaient que les avantages ? Qui croit à la misère qu’il ne connaît pas ?...
»
Et quel plaidoyer féministe et indépendant Shirley envoie à son oncle à la fin du roman ! Vas-y, Shirley !
Belle phrase de Charlotte Brontë dite par Robert Moore, au chapitre 35 :
« Nous nous souviendrons que nous serons jugés à la mesure dont nous aurons jugé les autres ; c’est pourquoi dans notre cœur régnera l’affection au lieu du mépris. »
Et la dernière phrase du roman :
« L'histoire est finie. Il me semble voir le lecteur judicieux mettre ses lunettes à la recherche de la morale. Ce serait une insulte à sa sagacité que de lui offrir des directives. Je lui
dis seulement : que Dieu l'assiste dans sa quête ! »
S'il vous plaît, honorable Professeur C. Brontë, puis-je seulement apprécier ce roman, ou dois-je vraiment y réfléchir ? Eh bien ! j'y réfléchirai, ce qui sera un très humble remerciement à vous
qui avez écrit ces belles et fortes pages.
Mon cher Théophile Gautier a écrit :
« Qu'importe que ce soit un sabre, un goupillon ou un parapluie qui vous gouverne ! C’est toujours un bâton, et je m'étonne que des hommes de progrès en soient à disputer sur le choix du
gourdin qui leur doit chatouiller l'épaule, tandis qu'il serait beaucoup plus progressif et moins dispendieux de le casser et d'en jeter les morceaux à tous les diables. » (L'épée étant le
symbole de la force armée, le goupillon celui du clergé et le parapluie celui de l'autorité séculière.)
Dans Shirley, tous les personnages sont soumis à une ou plusieurs autorités : le lointain et étranger Napoléon, Lord Wellington l’Anglais, les hommes d’Église, l'oncle..., dont les décisions ont
un impact direct sur leur vie.
Question : Avons-nous encore vraiment besoin de tous ces soi-disant chefs ou directeurs de conscience ? Les humains ne sont pas encore assez sages, me répondrez-vous, donc ils ont encore besoin
de chefs. Mais les les chefs qu’ils se choisissent sont-ils des sages, eux ?
Quoi, Mlle Brontë ? Ce n'est pas assez ? Ok, voyons voir....
D'une part, Robert Moore, bien qu'il ait du cœur, dirige son usine d’une main de fer. Il la défend fusil contre fusil. Il en résulte des morts, des blessés et de la vengeance, et qu'à la fin,
c'est Robert Moore qui se sent mal et qui est seul.
D'un autre côté, Shirley, comme Moore, gère son domaine et ses gens. Elle aussi a du cœur, mais elle est sans violence : elle ne réprimande pas sa cuisinière qui la vole ouvertement. La
cuisinière a finalement été conquise par ce bon cœur : elle n'a plus volé sa maîtresse et l'a même défendue. Shirley n'est pas isolée comme Moore, elle se fait des amis : Mme Pryor, Caroline, M.
Hall, Henry, etc..... Avec des moyens différents de ceux de Moore, elle parvient à gérer son domaine.
Robert Moore agit d'abord conformément à l’éducation qu’il a reçu de la société et l’époque dans laquelle il vit : il agit comme un homme. Mais, heureusement, il est l'un des héros du roman et,
seul, il apprendra à changer pour son propre bien et celui des autres.
Shirley, elle, agit avec les qualités d’une femme de son époque : gentillesse, compréhension, etc..... bien que son caractère soit aussi impétueux que celui de Robert Moore, il est atténué par
son éducation. Elle a de la chance, parce que, prenons l'exemple de la cuisinière : Mme Gil, c'est son nom, je crois ? Mme Gil aurait pu être une personne sans cœur et continuer à voler Shirley,
auquel cas Shirley aurait dû agir.
Deux leaders, deux façons différentes de diriger. Voir: Comment les films enseignent l'humanité, Ted Talk de Colin Stokes
Toujours pas assez ? Au sujet du féminisme, Mlle Brontë ?
Eh bien ! il y a eu des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire ! Merci pour ce beau roman, Charlotte Brontë !
Lien Babelio