Au mois d’Août, j’ai passé une semaine à Berlin et Potsdam, en Allemagne, en famille.
Pendant ce séjour riche en visites historiques et culturelles, en moments de détente et de surprises, j’ai bien entendu trouvé le temps de lire. J’ai lu Call me Woman, de Ellen Kuzwayo. Ma critique ici.
Un jour, entre autres, nous avons vu La Colonne de la Victoire, un des symboles les plus connus de Berlin. Son socle carré, décoré de bas-reliefs, relate les guerres connues en Allemagne sous le
terme de « guerres d'unification » (guerre des Duchés de 1864, guerre austro-prussienne de 1866 et guerre franco-prussienne de 1870). Voilà pour un très bref historique.
Ce qui m’a marqué étaient les bas-reliefs. Sur de puissants destriers, des héros gonflaient leur poitrine. De braves et courageux soldats tuaient des ennemis ou mouraient pour leur pays, ou les
deux ! Morts, estropiés ou vivants, les lauriers de la reconnaissance et de la victoire étaient leur récompense.
Quoi ? Où sont les femmes, demandez-vous ?
Elles y étaient aussi, bien sûr… mais si peu ! Les femmes étaient : une mère qui offre bravement ses fils comme chair à canon, une femme qui laisse partir son mari l’assurant qu’elle prendra en
charge les enfants et la ferme, une autre qui remet avec émotion et dévotion une couronne de laurier au valeureux soldat.
Vous êtes rassurés ? Pas moi !
Où est le bas-relief montrant la vie détruite de toutes les mères qui perdent leurs fils dans la fleur de l’âge et qui n’auront plus aucun support dans leurs vieux jours ?
Où est le bas-relief montrant toutes les jeunes femmes qui ne pourront ni trouver l’amour ni fonder une famille parce que les hommes sont morts ?
Où est le bas-relief montrant les femmes violées dans un camp comme dans l’autre ?
Où est le bas-relief montrant les femmes qui assument seules la charge des moyens d’existence de la famille dans des temps de guerre si difficile ?
Où est-il gravé dans la pierre, sur tous ces monuments de par le monde, que les hommes demandent pardon pour toutes ces vies détruites et promettent de ne plus recommencer ?
Nulle part !
Le soir, après la visite de ce monument que l’on retrouve dans mon pays comme dans tant de pays du monde, je me suis replongée dans le livre autobiographique d’Ellen Kuzwayo (1914-2006). Cette
femme noire d’Afrique du Sud a passé sa vie remplie de tant de malheurs, à tout faire pour construire son pays au lieu de le détruire, à nouer des liens d’amitié et d’entraide entre les femmes et
les hommes au lieu de fissures de haine.
Ce parallèle entre d’une part, les monuments célébrants les victoires ou rendant hommage aux morts dans les guerres, érigés par les hommes depuis des milliers d’années et d’autre part, des livres
rendant compte d’actions ou de pensée positives de femmes intelligentes et bienveillantes, m’a donné à réfléchir.
Disons, depuis environ 2500 d’Histoire, les hommes régissent le monde et les femmes. Leurs traces sur cette Terre sont grandioses : monuments guerriers célébrant une puissance aveugle, châteaux
de rois célébrant une grandeur bien éphémère. Bien sûr, on a aussi des poètes, mais certaines femmes aussi ont des âmes de poètes, seulement, peu d’entre elles ont pu l’exprimer. Alors, je me
demande :
Et si, à compter d’aujourd’hui, nous laissions les femmes trouver un autre moyen de vivre pour les 2500 ans à venir ? Bon, admettons que le monde « va plus vite » depuis l’ère informatique et
donnons aux femmes 1000 ans seulement.
Que feraient-elles de mieux ? demandez-vous ?
Elles pourraient nous surprendre en tentant de vivre ensemble et autrement. Ce monde d’hommes avides de pouvoir, qui se sont disputés depuis des milliers d’années pour être chef de familles, chef
de clans, chef de pays, chef d’empires, chef du monde, a peut-être fait des femmes des êtres ayant plus de compréhension pour contrebalancer la dureté autour d’elles, qui sait ?
Ce projet est irréalisable, trop long, trop utopique, trop loin des vies impuissantes de la plupart de nous, me dites-vous ?
OK. Alors que diriez-vous de ceci :
La prochaine fois que vous visiterez un monument historique souvenez-vous que l’Histoire n’est pas que masculine. Les femmes ont vécu, souffert et sont mortes durant leurs guerres et longtemps
après.
La prochaine fois que vous visiterez un château historique ou une résidence présidentielle souvenez-vous que la gloire n’en revient pas qu’à Louis XIV ou Abraham Lincoln. Les femmes n’ont pas eu
leur mot à dire au sujet du système politique qui ne mettait sur les trônes que des hommes, réduisant les femmes à des mineures. Alors que, ne seraient-ils pas morts de faim si des femmes ne leur
avaient pas préparé leurs repas ?
La prochaine fois que vous lirez Victor Hugo, demandez-vous pourquoi il a été et est encore plus connu et publié que la grande, l’intelligente, la bonne George Sand. Je vais vous le dire,
pourquoi : du temps de Victor Hugo, les critiques de livres étaient des hommes. Ils ont encensé des hommes et on prend encore leur avis pour argent comptant.
Et les hommes, dans tout ça ? osez-vous demander, d’une petite voix.
Mais osez, osez, j’aime la discussion ! Les hommes ? Aimez-les, ils en ont tant besoin ! Mais restez vigilantes et gardez à l’esprit que vous êtes capables d’occuper pacifiquement 51% de nos
sociétés.
Mais dans le fond, pourquoi le ferions-nous ? Certaines d’entre nous vivent très bien dans la place qu’il leur est octroyée dans leur société ?
Parce que décharger les hommes de la moitié de la responsabilité de notre avenir commun les soulagera certainement d’un grand poids et ils n’en seront que plus détendus ! C'est gagnant-gagnant
!©
Gabrielle Dubois