J’ai commencé ce livre sans savoir de quoi il s’agissait, et très peu engagée à le lire du fait de la couverture : un tableau de Meredith Frampton, Portrait of a young Woman ― laquelle jeune
femme a l’air pincé, méprisant, coincé.
Bref, j’ai quand même ouvert ce livre, parce que j’étais en vacances à l’étranger, voir Ellen versus Warriors et que c’était le seul des livres que j’avais
emportés qu’il me restait à lire ! Je dois dire que les premières pages m’ont rebutée ― aucun d’eux n’est sympathique, empathique ou aimable. Ils sont méprisants, suffisants, bornés,
inintéressants et je n’avais qu’une seule envie : refermer la porte de leur maison dans laquelle j’étais entrée pour les laisser entre eux, et ne plus jamais les revoir ! Mais quand on n’a qu’un
seul livre à livre et qu’on adore lire…. On continue !
Pourtant, on n’aime pas ces personnages vils, imbus de leur personne, qui ne savent pas où ils vont et ne cherchent pas à le savoir ; des personnages qui ne supportent pas le bonheur des autres
parce qu’ils sont incapables de faire le leur, qui espère que les autres soient malheureux pour qu’ils s’engluent à leur mal-être :
« J’eus la satisfaction de savoir qu’elle était moins heureuse et donc que j’avais plus d’importance. »
Puis, au fur et à mesure de la lecture, comme c’est bien fait et bien écrit, on finit par se laisser aller, bien que les personnages restent encrottés dans leur misérabilisme inactif :
« La raison pour laquelle je me plaît au désastre des autres, c’est parce qu’ils suscitent ma compréhension et ma sympathie comme ne le font jamais leurs réussites. »
Le père de l’héroïne se trouve immobilisé au lit, elle s’occupe de lui. Alors on pense : Ah ! Enfin un peu d’altruisme ! Mais elle pense :
« Tous les jours mon cœur était plus calme et réconforté grâce à l’importance que j’avais prise. »
La mère de l’héroïne doit faire des économie, soit, c’est louable. Sauf quand : « son objectif final était la pénitence pour tous. Elle voulait que tout le monde souffrît. »
Et cette pauvre héroïne que sa mère et elle-même trouvent trop grande et trop grosse. Toujours dans ses mesures d’économie, ― après avoir jeté l’argent par les fenêtres toute sa vie et sans
jamais avoir eu aucune idée ni de la valeur de l’argent ni du prix de quoi que ce soit ― la mère décide de ne presque plus chauffer la maison. Je vous signale que l’histoire se passe en Irlande,
pays que j’adore mais dont les hivers sont comment dire… humides et frais ! 😊 Aroon, la narratrice, tente de se rebiffer contre sa mère, mais : « À la façon dont ma mère me regardait, je devinais
qu’elle mourait d’envie d’ajouter : les gros ne sentent pas le froid. »
Oui, la jeune Aroon a eu des parents qui n’auraient jamais dû être des parents. Oui, elle a un physique qui ne correspond pas aux critères de beauté de son temps. Oui, elle n’a pas été
aimée.
Mais elle a ce que nous tous avons : le choix !
Alors qu’elle finit par pouvoir faire le bon choix pour elle : prendre sa liberté ; à mon avis, elle fait le mauvais : maintenir cet idéal idiot de bonne conduite qu’il en coûte sa dignité ou son
bonheur :
"Nous avons gardé la tête au-dessus du murmure, étouffés en criant de désespoir seulement par l'exercice de la bonne conduite."
Pour moi, ce choix-là est un renoncement à la vie par faiblesse. Et j’ai beaucoup de mal à accepter un tel comportement, je vais vous dire pourquoi :
Une personne qui se refuse à voir la réalité en face et à affronter sa vie ne fait pas que se rendre malheureuse elle-même. Elle met aussi dans la souffrance les personnes autour d’elle. Soit on,
par amour, on se sent obligé de l’aider à gérer sa vie, soit la façon qu’elle a de gérer sa vie impacte négativement sur son entourage.
Donc, non, définitivement, non, je n’ai pas aimé les personnages de Molly Keane, dont la jeune Aroon. Je n’ai du plaisir qu’à lire des histoires, vraies ou de fiction, sur des personnages qui
s’élèvent et m’élèvent avec eux.
Alors, pourquoi ai-je finalement et malgré tout aimé ce livre ? La faute en revient au grand écrivain Molly Keane : son écriture est une merveille de subtilités distillées, de réflexions en
apparence anodines mais qui en disent si long. Ah ! Si seulement l’éditeur français avait gardé le titre original Good Behaviour ! On aurait tout de suite su à quoi s’en tenir !
Et quand je vous dirai que c’est très facile à lire, vous n’aurez plus aucune excuse pour ne pas lire ce livre !©
Gabrielle Dubois