Le baiser final, par Gabrielle Dubois ©

Au siècle précédent, au millénaire précédent, dans les années 1970, quand j’étais enfant, il n’y avait qu’une seule télévision, qu’un seul écran dans la maison. Veuillez excuser cette précision. Elle peut être nécessaire à des jeunes de dix-huit et vingt ans comme mes enfants qui croient qu’Internet, les ordinateurs, les portables, les écrans de toutes sortes ont toujours existé pour un usage courant et familial !
Donc, nous avions une seule télévision dont l’accès, dans ma famille, était très strictement réglementé. Je n’ai eu droit à voir des grands films, que lorsque j’ai été adolescente et uniquement les samedis soirs seul jour où il n’y avait pas école le lendemain. Ah, mais quelle inhumanité parentale !
Et encore, n’étions-nous autorisées, mes sœurs et moi, à ne voir que des westerns des années 50 et 60. Un héros, le « gentil », dégommait un ou plusieurs méchant pendant une heure trente minutes, ce qui l’autorisait à embrasser la femme patiente et pure qui l’avait attendu tout ce temps.

Moi, les plans peu subtils du héros justicier, les plans machiavéliques des méchants, les coups de feu, tout cela m’indifférait. Non, moi, la seule chose qui m’intéressait dans tout ça, c’était l’histoire d’amour. La seule chose que j’attendais, c’était le baiser final qui effaçait, par la puissance de l’amour, toute les horreurs des hommes, mais…
Mais quand le gentil héros s’était débarrassé des méchants, mon père estimait que l’histoire était terminée. Alors il se levait. Il allumait la lumière du salon, que la nuit qu’on avait pas vue arriver avait plongé dans l’obscurité, et il passait devant l’écran de la télévision pour l’éteindre pendant le baiser final ! NOOOOON ! Une heure et demi de poussière des plaines de l’Ouest américain, une heure et demi de coups de feu, une heure et demi de crachats de chique, de regards mauvais et sournois, de vilenies masculines pour quoi ? Pour rien ! Le baiser était gâché par la lumière de l’ampoule électrique soudainement allumée et qui m’aveuglait au seul bon moment du film ! Et ça, c’était au mieux ! Au pire, la télévision était éteinte juste au moment où les amants se réunissaient, juste avant l’étreinte.

Alors… Alors, merci, papa. Oui, merci ! Grâce à la seule minute des films que j’attendais et que je manquais tant de fois à cause de ton impatience, j’ai développé mon imagination. Une fois dans mon lit, j’imaginais les histoires que j’aurais aimé voir.
Et dans mes histoires, certes, il y avait des méchants, tout comme dans la vie, mais ils n’avaient pas droit à plus de cinq minutes ! Certes, il y avait un beau héros mais il ne tenait pas le premier rôle ! Non ! Dans mes histoires, le héros était l’héroïne et l’amour et l’amitié étaient son moteur, le bonheur (pas au détriments des autres) était sa quête.

Héros, soufflez pour la dernière fois sur la fumée qui s’échappe de vos pistolets bien trop souvent utilisés ! S’il y a un feu à allumer, c’est celui de l’amour !

 Gabrielle Dubois