Qu’est-ce qu’un roman ? C’est Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell !
Comment faire la critique d’un tel livre ? Par quel bout le prendre ? Il y a tant de choses, dans ce roman ! Allons, essayons !
Je lis en marquant avec des petits post-it jaunes les passages intéressants, poétiques, humoristiques, pleins de belle pensée ou positifs. Comment vous dire ? On ne voit plus la tranche des
pages, elle est jaune de post-it ! Donc, je vais vous livrer mes réflexions en vrac !
Chaque être humain a une vision bien à lui de ce qu’il veut dans la vie. Il est normal que ces visions diverses diverges d’un être humain à l’autre. Aujourd’hui, et depuis la nuit des temps, il
en résulte disputes et conflits. Patrons contre ouvriers, intellectuels contre manuels, enfants contre parents, anglicans contre catholiques, hommes contre femmes, société contre femmes, etc…
Gaskell propose la discussion, la connaissance de l’autre qui entraîne la compréhension de l’autre pour apaiser les tensions. Attention ! Elle ne dit pas que ce soit la solution de tous les
problèmes, ou encore moins qu’on doive adopter les idées des autres et se fondre tous dans un même moule, non. Elle dit seulement qu’en apprenant à connaître l’autre, on est plus enclin à la
discussion raisonnée qu’au conflit enragé.
Ce roman se situe dans l’Angleterre industrialisée du milieu du 19ème siècle. Cette société est pleine de barrières, comme je viens de le dire. Gaskell les abolit subtilement :
* Le père de l’héroïne est un homme faible par certains côtés, ce qui force l’héroïne, Margaret à prendre en main la maison et la famille (sa mère malade, son frère en difficulté, son père
qu’elle doit consoler et réconforter). La fille tient le rôle que la société dévolue au père. Et, oh ! surprise, elle s’en tire très bien ! Est-ce à dire que les femmes sont plus capables qu’on
le pensait ?
* Le patron de manufacture, représenté par Thornton, n’est pas un homme inhumain, ambitieux et avide de pouvoir qui ne voit le bonheur que son chiffre d’affaire. Tous les patrons ne seraient-ils
pas des hommes sans cœur ? De même que l’ouvrier représenté par Higgins n’est pas un homme sans cervelle et est capable de comprendre tout autant les ouvriers que le travail du patron.
* Thornton, le manufacturier orphelin de père, a dû quitter l’école tôt pour subvenir aux besoins de sa famille. Adulte, il décide de se remettre à l’étude des classiques et y prend un grand
plaisir. La culture ne serait-elle pas le seul apanage des universitaires ?
* La cousine de Margaret, Edith, est une jeune femme qui vit comme se doit de vivre une femme de son temps et de sa classe : elle n’a d’intérêt que pour la parure, les dîners et le rang social.
Mais un autre modèle de femme est possible : Margaret, qui a une tête et qui s’en sert, qui est indépendante et finira par l’imposer à tous, avec cœur et grâce.
La société enferme les êtres humains dans des schémas de vie et de pensée. Gaskell, libre comme l’air, les en sort :
* M. Higgins, l’ouvrier bourru, se montre très maternel,
* Margaret organise le départ de Helstone comme un homme,
* M. Thornton est tendre avec sa mère, comme le serait une fille.
Oh ! Que j’aime, comme Gaskell, prendre chaque individu pour ce qu’il est et non pour la case dans laquelle la société veut le ranger !
Et puis il y a les innombrables liens entre êtres humains, ces liens qui nous unissent et nous déchirent aussi souvent. Ces liens sont complexes et nécessiteraient une bien plus grande attention
que ce que les hommes leur ont porté jusqu’ici. Ces liens nécessitent toute l’attention que leur porte Gaskell et ses consœurs auteurs femmes telle George Sand ou Betty Smith…
Et puis il y a les institutions par lesquelles on ne doit pas se laisser aveuglément guider, qu’elles soient :
* religieuses, M. Hale, le pasteur, prendra le chemin que lui dicte sa conscience,
* étatiques, Frederick désobéit à la Marine quand les supérieurs sont inhumains ,
* ou même universitaires : certains professeurs oublient que l’intelligence peut se dénicher ailleurs qu’à l’université, comme ils oublient l’humilité.
Et puis il y a le pouvoir. Ce pouvoir tant convoité par tant d’hommes. Ce pouvoir que prend innocemment Margaret quand dès sa première rencontre avec Thornton, elle lui dit franchement ce qu’elle
pense et l’oblige à se remettre en cause. Voilà un pouvoir utilisé à bon escient.
Il y a tout cela et beaucoup plus, dans ce roman.
Il y a des choses essentielles : de l’humilité, de l’amour, de la force, de l’intelligence. Il y a de l’élégance. Non pas une élégance ayant rapport à la mode, non. Il y a de l’élégance de cœur,
de comportement. Il y a tout ce à quoi je voudrais tendre. Allez, au travail !
Mais ce n’est pas tout ! Il y a en plus une belle et bonne histoire, de l’humour de-ci de-là, une belle écriture. Gaskell, je vous aime !
PS : Pour ceux qui ont comparé ce roman au Germinal de Zola,
Gaskell est bien au-dessus de Zola ; sa vision de l’humanité est bien plus large ; elle n’a pas l’à priori de Zola qui montre basiquement l’ouvrier comme bon et le patron comme méchant. Pourvu
que nous tendions vers la vision du monde plus compréhensive et apaisée de l'autrice Gaskell que vers une vision d’opposition et de conflits à la Zola. Le futur est féminin!
Gabrielle Dubois ©
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