Chaque année le très officiel Centre du Cinéma Français publie son bilan sur l’état des lieux du cinéma français. Le dernier bilan paru du CNC est celui de 2018 :
Sur le nombre total de films qui ont vu le jour en France, il y a :
75% de réalisateurs, 23% de réalisatrices, 2% de mixtes.
Le devis moyen des films réalisés par des femmes est inférieur de 55% à celui des films réalisés par des hommes.
L’écart s’accentue depuis dix ans, le devis moyen des films de réalisateurs baisse de 17%, tandis que celui des films de réalisatrices baisse de 29%.
Forcément, les hommes en surnombre se retrouvent parmi les nominés à Cannes en 2020 sur l’attribution des Césars suivants :
César du meilleur film, un film d’homme.
(nominés 5 films d’hommes, 1 film de femme)
César du meilleur réalisateur, un homme
(nominés 5 hommes, 1 femme)
César du public, 1 film d’homme
(nominés 5 films d’homme)
César du meilleur premier film, un film de femme
(nominés 3 films d’homme, 2 films de femme)
César du meilleur film étranger, un film d’homme
(nominés 6 films d’homme)
César du meilleur scénario original, un film d’homme
(nominés 4 hommes, 1 femme)
César meilleure adaptation, un film d’homme
(nominés 5 hommes)
César meilleurs costumes, une femme
(nominés 1 homme, 4 femmes)
César meilleurs décors, un homme
(nominés 5 hommes)
Sur ces 9 Césars gagnés, 7 le sont par des hommes, 2 par des femmes.
Sur ces 48 nominations, 39 sont des hommes, 9 sont des femmes.
Ça, ce sont les chiffres officiels, vous êtes assez futées pour en tirer vos propres conclusions.
Maintenant, mon humble avis personnel sur les films J’accuse et Le portrait de la jeune fille en feu :
Je n’ai pas vu J’accuse de Roman Polanski et je n’irai pas le voir pour les raisons suivantes :
1) Roman Polanski :
Sérieusement ? Vous donnez un CINQUIÈME César à cet homme ? Le Centre National du Cinéma a subventionné cet homme ? Encore ?
Alors, oui…, il y a un débat : doit-on sanctionner l’artiste ou ne tenir compte que de son œuvre ?
Un artiste n’est qu’un homme, après tout… ou une femme ! Il a droit à l’erreur et au faux pas. Oui, je crois. Mais il a aussi, comme chacun, le devoir de repentance et de pénitence.
Donc, je ne subventionnerai pas cet artiste avec le prix de mon ticket de cinéma.
2) J’en ai assez des histoires d’hommes ! Il y en a trop eu et y en a encore trop. Elles ont leur public et c’est très bien. Mais j’ai regardé des films d’hommes, j’ai lu à 95% des livres
d’auteurs hommes pendant les quarante-cinq premières années de ma vie, maintenant, dans le temps qu’il me reste, je préfère regarder des histoires de et par les femmes.
3) J’accuse.
Sérieusement ? Vous n’en avez pas assez de ce procès qu’on a dû apprendre au lycée, dont on parle régulièrement dans les journaux encore et encore ? Et encore Zola dont la « chambre est tendue de
tapisseries anciennes avec un lit Henri II qui s’avance au milieu de la vaste pièce éclairée par d’anciens vitraux d’église qui jettent leur lumière bariolée sur mille bibelots fantaisistes,
inattendus en cet antre de l’intransigeance littéraire, » comme le décrivait Maupassant.
Ok, le gars a été accusé à tort. Ok, il y a eu injustice, antisémitisme. Ok, l’honneur des mecs, etc..., mais…
4) Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi, mais pourquoi donc l'histoire du procès d'un officier de l'armée aurait-elle plus de signification historique que l'histoire intemporelle de trois
femmes ― qui représentent toutes les femmes, soit, je vous le rappelle la moitié de l’humanité ― femmes qui luttent ou survivent dans une société qui ne les respecte pas ?
Lorsque j'étais enfant et adolescente, j’ai vu aux informations télévisées, des hommes noirs d'Afrique du Sud qui manifestaient contre l'apartheid dans leur pays. J’ai encore en mémoire les
images de ces hommes qui ne marchent pas, mais qui trottinent, parce que les marches de protestations étaient interdites, soulevant des nuages de poussière. Et j'entends encore les commentaires
des journalistes hommes des années 70-80 : « voici des hommes qui se rassemblent, qui se battent ensemble, qui courent, qui bravent le danger, la prison, la police... »
Je relis en ce moment Femme et Noire en Afrique du Sud, d'Ellen Kuzwayo, publié en 1883. Et
j’enrage. Où étaient toutes les femmes noires qui ont combattu, ont été emprisonnées, ont construit et reconstruit leur pays ? Pas au journal télévisé ! Qui aurait pu voir ces femmes, connaître
leur existence, leur résistance, leur infinie bonté et générosité ? Personne, car personne ne les a citées au journal télévisé !
J’ai vu Le portrait de la jeune fille en feu :
C’est une très bonne et belle histoire, intemporelle.
Les actrices sont parfaites. J’ai beaucoup aimé le visage de Noémie Merlant, l’amitié entre les trois filles,
le fait qu’il n’y ait pas d’hommes. J’ai trouvé bien que le futur époux ne soit ni vu ni décrit, le propos n’est pas, peu importe l’homme, on ne doit pas marier deux personnes sans qu’elles se
connaissent et en aient envie.
Le paysage, le décor de la maison, très bien.
Les costumes étaient très bien fait et beaux. La mère et la fille assorties en bleu foncé, en tissu noble, la peintre en rouge, plus libre, et la servante en blanc à fleur, plus enfant, plus
innocente et naïve. Parfait.
La scène du feu et des femmes qui chantent était super ! émouvante, forte ; le chant, même s’il n’était pas d’époque, était parfait, et à sa place, et poignant.
Petits bémols :
Tout d’abord, un peu trop long ; dû au fait que chaque personnage attend pour répondre à l’autre. Les silences, les poses, le paysage, le portrait, les jeux de regards, étaient bien et utiles,
mais la lenteur des dialogues était un peu agaçante.
Ensuite je crois que Céline Sciamma a fait, dans de minuscules détails, l’erreur que font beaucoup de femmes depuis qu’elles écrivent des histoires ou font des films : elles racontent une
histoire pour tenir un propos. Je m’explique :
Quand un homme raconte une histoire, il ne te dit pas : voici un super héros, c’est un super héros parce que les hommes sont forts, ils sauvent les femmes parce que les femmes ne peuvent pas se
sauver elles-mêmes, ils sauvent le monde parce qu’eux seuls sont capables de le faire. Non. Un homme raconte son histoire, sans se justifier. C’est le spectateur qui inconsciemment en déduit que
l’homme est le plus fort et c’est comme ça !
C’est pour cela qu’en France, « on » dit que les films de femmes sont parfois ennuyeux : parce qu’elles veulent toujours prouver quelque chose, en tant que revendicatrices d’un juste droit à
l’égalité, que victimes d’un monde d’hommes ou autre. Alors que le spectateur, femme ou homme, ne veut que voir une histoire, pas une thèse sur le féminisme.
(Si Céline Sciamma souhaite que je développe sur ce sujet, voici mon email :
gabrielle.dubois.31@gmail.com )
Au final, un très bon film, une très bonne histoire, une bonne psychologie des personnages, dont celui de la mère, de bonnes actrices, costumes, décors, et une belle façon de filmer. Je
recommande Le portrait de la jeune fille en feu.
Maintenant, le film de Céline Sciamma aurait-il dû gagner à Cannes ? Je ne sais pas, je n’ai pas vu les autres films. En tout cas, malgré mes critiques négatives sur des petites
choses, c’était un très bon film, une très belle histoire, universelle, malheureusement encore intemporelle.
Adèle Haenel aurai-elle dû ne pas quitter la salle ? Je ne sais pas, je n’ai pas suivi toutes les coulisses
de cette « affaire Cannes 2020 ». Mais s’il doit être « excusé », j’excuse son geste :
Un artiste doit être libre d’exprimer sa pensée. Et je crois que c’est en bousculant pacifiquement des millénaires de mainmise masculine sur un monde qui est aussi celui des 50% de femmes qui
l’habitent, que cela pourra changer.©
Le futur est féminin,
Gabrielle Dubois
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