Interview télévisée de 1975 sur iT1, émissions Questionnaire,
Extrait 11 #
Simone de Beauvoir :
Les femmes sont obligées de rester avec leur mari même quand elles ne tiennent plus à lui, ce qui est une situation vraiment qui n’est pas plus digne d’éloges que la prostitution proprement dite.
Vraiment une femme qui reste avec son mari uniquement pour l’argent parce qu’elle n’a pas les moyens de gagner sa vie elle-même, c’est une femme qui a abdiqué vraiment sa valeur et sa dignité
d’être humain. Par conséquent, moi, ce que je conseillerais à toutes les femmes, c’est de travailler. D’obtenir les qualifications les plus hautes qu’elles peuvent et d’avoir un travail le plus
intéressant possible, mais surtout, un travail qui lui assure l’indépendance économique. Et ça, c’est très difficile encore aujourd’hui, parce que là, l’inégalité est flagrante étant donné que
les parents, comme vous le disiez tout à l’heure, ils continuent un peu à penser : Oh, la petite, de toute façon elle se mariera, on n’a pas besoin de faire de gros sacrifices pour elle, on fera
des sacrifices pour le frère, on ne fera pas des sacrifices pour la sœur. Et c’est une injustice qui amène beaucoup de femmes à une révolte très profonde, quand elles ont vraiment le désir de
devenir quelqu’un, de faire quelque chose d’intéressant et qu’on leur en refuse les moyens, pour les donner uniquement au garçon qui parfois même est moins doué qu’elle et qui est moins capable
de faire des choses.
Question :
Il y a un mot qui revient souvent dans le vocabulaire du féminisme, qui n’est pas très expliqué, vous pourriez peut-être me l’expliquer, c’est le mot sexisme.
Simone de Beauvoir :
Alors c’est un mot que nous avons forgé par analogie en somme avec le racisme. Le racisme c’est la doctrine qui pense justifier d’établir des discriminations entre les êtres humains d’après leur
race. Eh bien le sexisme, c’est l’attitude qui prétend établir des discriminations entre les êtres humains d’après leur sexe. Nous avons commencé à parler de sexisme à propos des insultes que les
hommes déversent volontiers contre les femmes. Il y a une loi qui je crois date de 1945, et qui interdit de traiter un homme de sale Juif ou de… sale Bicot ! Et si on insulte un Arabe, un Juif de
cette manière-là, on peut être traîné devant les tribunaux. Mais qu’on dise à une femme, qu’on dise d’une femme : Salope comme toutes les bonnes femmes, ou hystérique comme toutes les bonnes
femmes ! il n’y a pas de recours. Et nous avons créé, quelques-unes du MLF, une ligue du droit des femmes ou nous essayons de lutter contre toutes les formes de sexisme. Nous avons commencé par
celle-là, nous voudrions obtenir que la loi qui interdit toute discrimination de race mette également toute discrimination selon les sexes, et nous voudrions obtenir cette non-discrimination, non
seulement sur ce plan, dont je viens de parler, des injures, qui est important, plus que ça n’en a l’air, non parce que c’est toute une mentalité que ça amènera à réformer. Mais nous voudrions
également qu’il n’y ait plus aucune discrimination dans la manière d’élever les enfants, en tout cas à l’école (lien) , parce qu’on ne pourra jamais aller voir en effet de quelle manière une mère, à la maison, fait téter son
fil ou sa fille.
Question :
Il y a une discrimination à l’école, dans les écoles mixtes ?
Simone de Beauvoir :
Il y a une discrimination dans les manuels qu’on donne aux petits garçons et aux petites filles. Même dans des problèmes, même dans l’énoncé des problèmes. Maman, euh, je ne sais pas…, a rapporté
tant d’œufs à la cuisine, papa, lui, il a des boulons pour réparer je ne sais quoi, enfin, c’est tout à fait frappant la discrimination profonde qu’il y a euh… oui dans tous les manuels. Et puis
la manière dont on raconte l’Histoire uniquement sur la perspective masculine ; je veux dire l’Histoire de France par exemple, jamais sur la perspective féminine, etc, etc.
Gabrielle Dubois©
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