Extrait de livre
Extrait de Louise, tome 2, La femme
"... Victor entoura les épaules de Louise de l’étole, doucement. Un agent de police, pèlerine au vent, ses lourds godillots frappant le sol, accourut de l’avenue de Clichy alerté par les cris
:
- Que se passe-t-il ici ? demanda-t-il d’une forte voix à l’accent chantant du Sud, sous ses moustaches.
- Cet homme a agressé madame, dit Victor.
Le policier retourna du bout de son godillot l’homme à terre et sans connaissance, dévoilant son visage :
- Vauroux !
- Vous le connaissez, monsieur l’agent ? demanda Victor.
- Ouais, un pauvre type qui traîne dans le quartier depuis des années. Un habitué de la maison. René ! cria-t-il à son collègue, viens m’aider ! On l’embarque. Vous êtes blessée, madame ?
- Non, je vais bien, monsieur l’agent, assura Louise, soutenue par Mlle Guilledou.
- Faudrait venir déposer demain au poste, madame.
- Je viendrai, dit Victor. Je ne crois pas que madame sera en état.
- Bon, on verra ça demain.
- Merci monsieur l’agent, dit Victor, qui resta en arrière dans la ruelle, répondant aux questions de l’agent de police, pendant que Mlle Guilledou raccompagnait Mme Campbell vers la cour :
- Vous bilez pas pour un type pareil madame, y vaut peau d’balle et balais d’crin !
- C’est déjà trop !
- Ah, ah, vous m’plaisez bien !... si j’puis m’permettre. Vous êtes une sacrée dame !
- Vous aussi. Et une infatigable danseuse !
- Madame Campbell, qui était-ce ? demanda Victor qui les rattrapait dans la cour, empressé. Comment allez-vous ? Pourrez-vous me pardonner de vous avoir laissée ? Dès que j’ai entendu votre cri,
j’ai accouru aussi vite que j’ai pu. Je vous emmène tout de suite consulter un docteur !
- S’il vous plaît, Victor, un instant, dit Louise, s’arrêtant et s’appuyant sur Mlle Guilledou…
- Désirez-vous vous reposer un moment dans ma loge, madame ? demanda Bisou.
- Oui, merci.
- Madame Campbell, dit Victor, je ne peux pas vous laisser dans la loge des danseuses, si quelqu’un vous y trouvait !
- C’est vrai, herr Meyer a raison. Ce n’est pas un endroit comme vous en avez l’habitude…
- Victor, vous m’attendez !... s’il vous plaît. J’en ai pour cinq minutes. Je reviendrai toute fraîche et ne dites pas un mot de tout ceci, ni à mon frère, ni à Chevalier ! Je vous en prie.
- Mais, …
- S’il vous plaît.
- Je reste devant la porte de la loge.
- Très bien. Je vous remercie.
La danseuse fit entrer Louise. Les filles se changeaient pour le deuxième quadrille de la soirée.
- Mademoiselle Guilledou, j’étais sortie pour… enfin… y aurait-il des…
- Oui ? … Oh ! Derrière le paravent !
Louise hésita.
- Je veille, vous y serez tranquille, prenez votre temps madame !
Louise ressortit de derrière le paravent :
- Puis-je m’asseoir un instant ? demanda-t-elle.
À la lumière de la pièce, la danseuse remarqua que Mme Campbell était livide.
- Bien sûr !
Bisou approcha une chaise qu’elle débarrassa d’un tas de jupons froissés, et lui soutint le bras pour l’asseoir.
- Il m’a tordu le bras, murmura Louise, grimaçant de douleur.
- Je crois que la proposition de herr Meyer de vous emmener chez le docteur, est…
- Non, ce n’est pas cassé, cela passera.
- Minnie, met de la glace dans un linge et donne-la moi !
- Ça tombe bien, j’ai un seau de champagne offert par...
- Minnie !
- Oui... bref, marmonna Minnie, qui mit la glace dans un chiffon et l’appliqua sur le bras de Louise.
- Pourquoi ne voulez-vous rien dire, madame ? demanda Bisou en déposant un châle sur les épaules glacées de Louise déjà couvertes de l’étole.
- En ce qui concerne les hommes, ma vie diffère peu de la vôtre, mademoiselle Guilledou. Je suis tributaire de leur bon vouloir pour sortir et s’ils savent ce qui s’est passé, je vais devenir
folle, à rester enfermée chez moi !... Dites-moi, à quelle heure finissez-vous votre travail ?
- Une heure du matin, environ. Vous voulez une coupe de champagne ? Cela redonnera de la couleur à vos joues.
- C’est votre remède ?
- Oui, dit Bisou en essuyant un verre avec le bas de son jupon.
- Dans ce cas, je vais suivre votre prescription !
- J’en connais pas beaucoup, des dames comme vous ! ..."
Gabrielle Dubois©