Première édition 1998.
Introduction:
«Silencieuses, les femmes? Mais on entend qu’elles, diront certains de nos contemporains qui éprouvent jusqu’à l’angoisse l’impression de leur irrésistible ascension et de leur parole
envahissante. «Elles, elles, elles, toujours elles, voraces, pépiantes…» mais plus seulement dans les salons de thé, débordant désormais du privé au public, de l’enseignement au prétoire, des
couvents aux médias et même au Parlement!
Certes. L’irruption d’une présence et d’une parole féminines en des lieux qui leur étaient jusque-là interdits, ou peu familiers, est une innovation du dernier demi-siècle (le 20ème) qui change
l’horizon sonore. Il subsiste pourtant bien des zones muettes et, en ce qui concerne le passé, un océan de silence, lié au partage inégal des traces, de la mémoire et, plus encore, de l’Histoire,
ce récit qui, si longtemps, a «oublié» les femmes, comme si, vouées à l’obscurité de la reproduction, inénarrable, elles étaient hors du temps, du moins hors évènement.
Au commencement était le Verbe, mais le Verbe était Dieu et Homme. Le silence est l’ordinaire des femmes. Il convient à leur position seconde et subordonnée. (…)
Le silence est un commandement réitéré à travers les siècles par les religions, les systèmes politiques et les manuels de savoir-vivre. (…)
Parce qu’elles apparaissent moins dans l’espace public, objet majeur de l’observation et du récit, on parle peu d’elles, et ce, d’autant moins que le récitant est un homme qui s’accommode d’une
coutumière absence, use d’un masculin universel, de stéréotypes globalisants ou de l’unicité supposée d’un genre : LA FEMME. (…) Les femmes sont imaginées beaucoup plus que décrites ou racontées,
et faire leur histoire, c’est d’abord, inévitablement, se heurter à ce bloc de représentations qui les recouvrent et qu’il faut nécessairement analyser, sans savoir comment elles-mêmes les
voyaient et les vivaient…
C’est le regard qui fait l’Histoire. Au cœur de tout récit historique, il y a la volonté de savoir. En ce qui concerne les femmes, elle a longtemps manqué. Écrire l’histoire des femmes suppose
qu’on les prenne au sérieux, qu’on accorde au rapport des sexes un poids, même relatif, dans les évènements ou dans l’évolution des sociétés. (…)
Ce livre est une réunion d’articles sur l’histoire des femmes. »
Page 138, au 19ème siècle, la situation des femmes ouvrières, payées deux fois moins que les hommes est grave :
« Mourir de faim ou perdre son honneur. »
Page 227 ;
«Une femme ne doit pas sortir du cercle étroit tracé autour d’elle», dit Marie-Reine Guindorf, ouvrière, saint-simonienne, acharnée à briser cet enfermement et qui se suicidera de cet échec. Les
hommes du 19ème siècle, ont en effet, tenter d’endiguer cette puissance montante des femmes, si fortement ressentie à l’ère des Lumières et dans les Révolutions, dont on leur attribuerait
volontiers les malheurs, non seulement en les enfermant à la maison, et en les excluant de certains domaines d’activité — la création littéraire et artistique, la production industrielle et les
échanges, la politique et l’histoire — mais plus encore en canalisant leur énergie vers le domestique revalorisé, voire vers le social domestiqué.
Des espaces qui leur étaient laissés ou confiés, des femmes ont pu s’emparer pour développer leur influence jusqu’aux portes du pouvoir. Elles y ont trouvé les linéaments d’une culture, matrice
d’une «conscience de genre». Elles ont aussi tenté d’en sortir pour avoir enfin place partout. Sortir physiquement: déambuler hors de chez soi, dans la rue, pénétrer les lieux interdits —
un café, un meeting — voyager. Sortir moralement des rôles assignés, se faire une opinion, passer de l’assujettissement à l’indépendance: ce qui peut se faire dans le public comme dans le
privé.»
Ce livre est une réunions d’articles de Michelle Perrot sur l’Histoire des femmes qu’elle cherche dans leurs écrits privés (journaux intimes, correspondances), dans les archives
des mairies, Église, police, syndicats d’ouvriers…
Patiemment, inlassablement, elle nous livre l’Histoire des femmes et c’est passionnant comme lire plusieurs romans les uns à la suite des autres.
Gabrielle Dubois