Ces deux mots qui devraient être les deux mots de la langue française les plus agréables à l’oreille ont été tant galvaudés qu’ils sont devenus péjoratifs. Quel dommage.
De quoi traite Le capitaine Fracasse de Théophile Gautier ? De sentiments.
De quoi traite Une aventure d’amour d’Alexandre Dumas ? De sentiments.
Madame Bovary, Honoré de Balzac? Sentiments.
Une Vie, George Sand ? Sentiments, encore et toujours.
La littérature sentimentale a eu ses lettres de noblesse, ne les lui retirons pas.
« ... Le repas terminé, (...) Isabelle et Séraphine eurent la fantaisie de descendre au jardin qu’on apercevait de la cour.
- J’ai peur, dit Sigognac, en leur offrant la main pour franchir les marches descellées et moussues, que vous ne laissiez quelques morceaux de votre robe aux griffes des ronces, car si l’on dit
qu’il n’y a pas de roses sans épines, il y a, en revanche, des épines sans roses.
Le jeune baron disait cela de ce ton d’ironie mélancolique qui lui était ordinaire lorsqu’il faisait allusion à sa pauvreté ; mais, comme si le jardin déprécié se fut piqué d’honneur, deux
petites roses sauvages, ouvrant à demi leurs cinq pétales autour de leurs pistils jaunes, brillèrent subitement sur une branche transversale qui barrait le chemin aux jeunes femmes. Sigognac les
cueillit et les offrit galamment à l’Isabelle et à la Séraphine, en disant :
- Je ne crois pas mon parterre si fleuri que cela ; il n’y pousse que de mauvaises herbes, et l’on n’y peut faire que des bouquets d’orties et de ciguë ; c’est vous qui avez fait éclore ces deux
fleurettes, comme un sourire sur la désolation, comme une poésie parmi les ruines.
Isabelle mit précieusement l’églantine dans son corsage, en jetant au jeune homme un long regard de remerciement qui prouvait le prix qu’elle attachait à ce pauvre régal. Sérafine, mâchant la
tige de la fleur, la tenait à sa bouche, comme pour en faire lutter le rose pâle avec l’incarnat de ses lèvres. »